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Guerres intestines entre groupes djihadistes à Idlib

La guerre intestine entre Hayat Tahrir Al-Cham et Jabhat Tahrir Souria (le Front de Libération de la Syrie) entre dans son deuxième mois sans qu’aucune des deux parties ne parvienne à prendre le dessus sur l’autre. C’est la plus longue période de discorde à Idlib. La ville et ses environs, ainsi que les campagnes occidentales d’Alep, vivent en effet des accrochages continus, qui ont engendré beaucoup de victimes civiles et la mort de nombreux combattants, et a impacté sur la vie en général. Tout au long des derniers jours, les accusations se suivent et se ressemblent entre les différentes parties. Le terme « tyrannie » n’épargne plus aucun communiqué officiel. A cela s’ajoute des accusations dirigées contre « le Front de Libération de la Syrie » de traiter avec ce que l’on qualifie localement de « milices kurdes ».

Loin des positions publiques des deux factions, les habitants d’Idlib sont désormais conscients des principaux motifs de ces guerres intestines, qui commencent à apparaître au grand jour.

Les graines de la discorde qui ne sont guère nouvelles

Enab Baladi a pu contacter une source ayant officié à des postes de commandement au sein du Front de Libération de la Syrie et de Hayat Tahrir Al-Cham, et qui est au fait du cours des négociations et des combats entre eux. Elle considère que les affrontements actuels sont « les plus violents et les plus dangereux pour la révolution. Ce sont là des combats qui visent à déposséder de leur nom l’un et l’autre, qui sont les deux pôles les plus importants sur le champ de bataille. Ils rivalisent en effet pour imposer leur domination et leur force aux fins de s’ériger comme le seul pôle qui fasse la pluie et le beau temps à Idlib ».

Ladite source précise que Hayat Tahrir Al-Cham est parvenu à récolter la gloire lors de ses premiers combats contre Ahrar Al-Cham en 2017, ce qui lui permît d’avoir la mainmise sur le point de passage de Bab Al-Hawa, la ville d’Idlib et la majeure partie des régions stratégiques du gouvernorat, pour s’imposer comme « la seule force gouvernant les zones libérées, et comme celle ayant le dernier mot ».

Selon la même source, la guerre entre les deux parties n’est pas nouvelle, et les premières graines de la discorde sont apparues avec Jaych Al-Fath et les batailles dans les campagnes du sud d’Alep, bien que les deux parties fussent considérées comme une seule et même partie et qu’elles ont pu mener des combats féroces contre les forces gouvernementales. A l’époque, les différends étaient cachés, surtout entre les dirigeants.

Tandis que les combattants faisaient corps, et que l’on parlait d’une éventuelle guerre intestine entre eux, on leur riait au nez, arguant de l’impossibilité d’une telle chose. « Ce que l’on redoutait hier est devenu une réalité aujourd’hui ».

Ahrar Al-Cham et le rêve de la gloire

La perte par Ahrar Al-Cham de la majeure partie de ses positions à Idlib, passant de la faction la plus importante à une faction comme une autre de l’Armée libre, a généré un désir de vengeance et une volonté de reprendre la domination, enhardie par les forfaits de Hayat Tahrir Al-Cham et du gouvernement de salut que l’organisation a créé, et qui gère les ressources des habitants, refermant ce faisant l’étau sur eux.

Ladite source, qui a préféré garder l’anonymat, a précisé que Ahrar Al-Cham est parvenu à se débarrasser des nombreuses personnes qui les ont rejoints, en gardant seulement quelques milliers d’éléments, pour les entraîner, les équiper et les organiser. Ce qui se jouait au sein de chaque partie était en fait contraire à la réalité. En effet, tandis que Ahrar Al-Cham s’équipait, Hayat Tahrir Al-Cham prenait des coups les uns après les autres, comme les accusations selon lesquelles ils auraient livré des régions à l’Est du chemin de fer, mais aussi des désertions qui n’ont pas manqué de les fragiliser.

Al-Zanki. L’ennemi de mon ennemi est mon ami

Ajoutons à ces guerres intestines, l’intégration de Harakat Noureddin Al-Zanki au sein d’Ahrar Al-Cham contre Hayat Tahrir Al-Cham, bien qu’Al-Zanki fût l’un des principaux piliers de Hayat Tahrir Al-Cham ces derniers mois.

Alaa Al-Ali, chef de la katiba, qui a abandonné le combat depuis deux ans et habite désormais dans la région de Awram Al-Koubra, a affirmé à Enab Baladi qu’Ahrar al-Cham et Al-Zanki n’ont jamais trouvé de point d’accord comme l’a fait Al-Zanki avec Jabhat Tahrir Al-Cham. Les projets n’étaient pas les mêmes, et les idées éloignées. Il s’étonne comment Al-Zanki a pu être tour à tour avec puis contre les deux factions en une année.

Al-Ali ajoute que la seule explication à cela est à mettre sur le compte des intérêts et de l’influence. Quand Jabhat Al-Nosra était en position de force, Al-Zanki s’est joint à eux pour garder ses régions dans les campagnes occidentales d’Alep. Quand elle a senti que Hayat Tahrir Al-Cham s’employait à les liquider de l’intérieur pour les intégrer tout bonnement dans ses rangs, elle a vu le danger venir et a fait scission pour faire ensuite alliance avec Ahrar Al-Cham, afin de former une force qui lui garantisse ses régions et lui allège la pression, en cas d’affrontement avec  Hayat Tahrir Al-Cham. C’est ce qui passe aujourd’hui.

La peur du Bouclier de l’Euphrate

Hayat Tahrir Al-Cham domine la majeure partie des axes du Nord, et contrôle l’ensemble des points de passage, ce qui a suscité des interrogations sur l’objectif auquel il aspire avec ces combats contre Al-Zanki dans la campagne occidentale d’Alep.

Une source militaire a précisé à Enab Baladi que la sortie d’Al-Zanki des rangs de Hayat Tahrir Al-Cham et l’affermissement de sa mainmise dans la campagne occidentale d’Alep, considérée comme la clef pour les régions du Bouclier de l’Euphrate, a généré une grande crainte au sein de ce dernier.

La coalition du Bouclier de l’Euphrate englobe les factions qui ont été éradiquées par Hayat Tahrir Al-Cham à Idlib, et quand elles sont arrivées dans la campagne occidentale d’Alep et qu’elles ont pénétré les régions longeant Idlib, il s’est avéré indispensable d’anticiper les choses et de tout faire pour contrôler la région.

Ladite source indique que cela a poussé Hayat Tahrir Al-Cham à jeter toutes ses forces pour contrôler la région avant la fin de la bataille de Ghosn Al-Zeïtoun (rameau d’olivier), mais l’entrée d’Ahrar Al-Cham dans la confrontation et les coups pris par Hayat Tahrir Al-Cham à Idlib a mis à mal ses plans, ce qui fait que la région connaît actuellement des guerres intestines.

Ces deux derniers mois, Enab Baladi a observé l’évolution des négociations entre les deux parties. Il a été convenu d’une trêve temporaire pour quelques jours, mais les combats ont soudainement repris.

Ceux qui s’emploient à pacifier les deux parties racontent les détails du processus de négociation. Il ne s’agit que de gagner du temps, rien de plus, au vu des différends portants sur les lieux des réunions, les retards aux rendez-vous, etc. ce qui montre clairement l’absence de volonté de l’une ou des deux parties à sceller un accord.

D’un point de vue militaire, aucune faction n’est parvenue à ses fins, mais le Font de Libération de la Syrie est parvenu à contrôler la majeure partie des régions détenues par Hayat Tahrir Al-Cham dans la campagne sud d’Idlib, contrairement aux fronts de la campagne occidentale d’Alep, où Hayat Tahrir Al-Cham était le plus influent.

Selon ladite source, Hayat Tahrir Al-Cham réclame un retour à la situation qui prévalait avant les combats actuels, tandis que le Front de libération de la Syrie exige un retour à la situation antérieure aux premiers combats, lors desquels Ahrar Al-Cham avait perdu le point de passage frontalier de Bab Al-Hawa.

La même source a affirmé que les trêves qui ont été convenues ces derniers jours visent à alléger la pression populaire, qui s’oppose aux combats, et à réordonner les rangs militaires.

Où mènent les affrontements ?

Jusqu’à aujourd’hui, aucune solution ne pointe entre les deux parties. Il y a eu beaucoup de morts, la région s’embrase, tandis que les zones d’influences se divisent, dans un tout qui laisse présager une longue guerre intestine, qui évoluera vers une situation permanente.

Chacune des factions a malgré tout son point faible. Et selon des informations de nature militaire que s’est procuré Enab Baladi, Hayat Tahrir Al-Cham souffrirait d’un manque d’hommes, qui se sont aperçus que ces affrontements étaient le fruit d’objectifs et de finalités propres aux dirigeants pour imposer leur domination.

Mais cette faiblesse en hommes est atténuée par des ressources financières que Hayat Tahrir Al-Cham tire des points de passage et de l’économie régionale qu’il contrôle. Hayat Tahrir al-Cham est donc plus abouti d’un point de vue logistique, et chaque combattant touche 50 dollars par semaine, selon un ancien combattant.

Quant au Front de Libération de la Syrie, il a un nombre supérieur de combattants, car les éléments qui le composent sont aujourd’hui convaincus du projet de Hayat Tahrir Al-Cham, dont les velléités sont apparues au grand jour en imposant sa domination sur les gens.

Mais le Front de Libération de la Syrie est étranglé par une crise financière, ce qui fait qu’une poursuite des combats, si elle devait se produire, n’irait pas dans ses intérêts. Les combattants n’ont pas reçu leur salaire depuis des mois, en raison de l’arrêt du soutien extérieur d’une part, et de l’absence de toute ressource économique dans le gouvernorat d’Idlib d’autre part, comme l’explique Khaled Hasri, chef militaire chez Ahrar Al-Cham.

Les observateurs prévoient que les combats ne dureront pas longtemps, car les deux parties ne sauraient en supporter les conséquences. Certains scénarii envisagent qu’une des deux parties prenne le dessus sur l’autre et qu’elle lui impose ses conditions. Dans le cas contraire, les combats continueraient jusqu’à un épuisement militaire des deux parties, ouvrant la voie à une autre faction qui prendrait de nouveau en main l’administration d’Idlib. On parle en effet du groupe Faylaq Al-Rahman, soutenu par les Turcs, qui pourrait tirer profit militairement et économiquement du gouvernorat d’Idlib.

Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (Enab Baladi, par Tareq Abou Ziad, le 25 mars 2018)

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