Alors que la Syrie tente de se relever de plus d’une décennie de guerre civile et de la chute du gouvernement Assad en décembre 2024, le pays est rattrapé par une résurgence inquiétante de la violence confessionnelle. Depuis le début du mois de mai, plus de cent membres de la communauté druze ont trouvé la mort dans une série d’attaques qui font écho au massacre, en mars dernier, de près de 1 400 civils alaouites, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Ces exactions, bien qu’elles visent des minorités différentes, s’inscrivent dans une même logique idéologique et illustrent les limites de la gouvernance du nouveau pouvoir. En toile de fond, l’instrumentalisation du nafir aam, un concept issu de la jurisprudence islamique classique appelant à la mobilisation armée en cas de menace existentielle, résonne comme un appel à la violence généralisée.
Utilisé historiquement lorsque la communauté musulmane est confrontée à une menace existentielle, ce terme a été détourné ces dernières années par des groupes extrémistes, tels que l’État islamique et Al-Qaïda, pour justifier des attaques contre des civils. En mars, alors que des affrontements opposaient des factions armées fidèles à l’ancien régime à des forces du gouvernement de transition, le nafir aam a été proclamé dans plusieurs régions du nord syrien. Les mosquées ont relayé les appels à la mobilisation, appuyés par des campagnes intensives sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, cette même rhétorique cible les Druzes. À l’origine de cette flambée de violence : une rumeur accusant un dignitaire druze d’avoir proféré des propos anti-islamiques dans un enregistrement audio — des accusations qu’il a immédiatement démenties. Malgré cela, des milices ont lancé des offensives contre des localités druzes près de Damas.
Face à cette montée des tensions, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a promis protection à la minorité druze et ordonné une série de frappes aériennes à travers le territoire syrien, y compris aux abords du palais présidentiel. Bien que présentées comme un geste humanitaire, ces interventions risquent de compromettre davantage la stabilité d’une transition déjà fragile.
Un sectarisme profondément ancré
Le gouvernement de transition syrien, dirigé par, Ahmed al-Charaa, avait promis une politique d’inclusion à l’égard des minorités. Or, les faits donnent un tout autre visage à cette promesse.
La Conférence de dialogue national, ouverte en février, ne compte aucun représentant des communautés alaouite, kurde ou druze parmi ses sept membres. La déclaration constitutionnelle qui en est issue ne garantit aucune protection aux minorités religieuses et concentre les pouvoirs exécutifs au détriment du pluralisme.
L’article 3 de cette déclaration stipule que « la religion du président est l’islam » et que « la jurisprudence islamique est la source principale de la législation », excluant de facto toute représentation égalitaire des non-musulmans dans le processus politique.
Par ailleurs, certains fondements idéologiques à caractère discriminatoire demeurent intacts. Une fatwa d’Ibn Taymiyyah datant du XIVe siècle, considérant les Alaouites comme des infidèles, circule encore dans les zones sous contrôle du gouvernement, alimentant un climat d’intolérance persistante.
Lors de la conférence des donateurs pour la Syrie organisée à Bruxelles en mars, le ministre des Affaires étrangères, Asaad al-Chibani, a désigné « 54 ans de régime minoritaire » comme la cause principale des maux actuels du pays, renforçant les suspicions autour de la marginalisation systématique des minorités.
La formation récente d’un Comité civil pour la paix, censé favoriser la réconciliation, suscite également la controverse. Parmi ses membres figure le cheikh Anas Ayrout, accusé par le passé d’avoir tenu des propos incitant à la haine envers les Alaouites.
Une révolution trahie ?
Près de quatorze ans après les premières manifestations pro-démocratie de 2011, et cinq mois après la chute du gouvernement Assad, la Syrie semble s’enfoncer dans une spirale de violences confessionnelles au lieu de tendre vers une paix durable. Les forces aujourd’hui aux commandes sont issues de mouvements djihadistes transnationaux, éloignés des aspirations initiales de justice sociale et de gouvernance démocratique.
L’intellectuel syrien Yassine al-Haj Saleh alerte sur l’urgence de désamorcer les tensions. Pour lui, seules des concessions politiques significatives et une désescalade rapide peuvent éviter l’implosion définitive du tissu social syrien. « Il faut reculer de deux ou trois pas pour mieux avancer », affirme-t-il, plaidant pour une refondation politique avant toute tentative de reconstruction institutionnelle.
Dans ce contexte, la communauté internationale ne peut plus se contenter de déclarations de principe. Une pression politique déterminée, plaçant la protection des minorités au cœur de toute initiative diplomatique, est essentielle si la Syrie veut espérer sortir de ce cycle infernal. À défaut, le pays risque de sombrer dans une fragmentation irréversible.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (The Conversation UK, « Syria faces renewed sectarian violence as government fails to deliver inclusivity », par Katya Al Khatib et Faten Ghosn, le 12 mai 2025).